Visite de Jean- Marc Ayrault, Ancien premier ministre, Président de la Fondation pour la mémoire de l’esclavage le 18 mai 2024 à Brest.
Journée multiculturelle et musicale dimanche 19 mai aux Halles de Kérinou à Brest
Invités d’honneur : Jean-Marc Ayrault, ancien premier ministre, président de la Fondation pour la mémoire de l’esclavage ; et Véronique Kanor, poétesse, réalisatrice, performeuse martiniquaise.
La fête de la fraternité est organisée chaque année par l’association Mémoires des Esclavages. Cette fête commémore la journée nationale de la traite, de l’esclavage et de leurs abolitions (Loi Taubira du 10 mai 2001), elle réunit chaque année une quinzaine d’associations qui présentent les actions de solidarité qu’elles mènent dans le monde. C’est également l’occasion d’événements culturels, concerts, danses, contes, films…
FÊTE DE LA FRATERNITÉ
Vous, vous toutes, vous tous
ansanm-anasnm aujourd’hui
pour fêter nos delphinités, nos fraternités, nos sistarités
vous-monde
bonjour !
Je suis heureuse d’être invitée d’honneur de cette Fête
moi la Martiniquaise dont les ancêtres ont peut-être
vu Brest depuis le pont d’un négrier accosté
sur lequel ils étaient forcés de danser.
Je ne connais pas bien votre ville
man pa konnèt li an vérité mé man vwé sé la man yé too
j’y ai découvert des humanités
et un nouveau mot
AMER
Pour moi poétesse ki ka matjé lapawòl
chaque nouveau mot est un trésor.
J’ai découvert celui-ci, Amer, grâce à Max Relouzat
granmèsi Grand Frère !
[Un point d’amer \a. mɛʁ\ est un point de contrôle géographique qui représente une
localisation connue à la surface de la Terre. C’est un outil qui sert à la navigation maritime.]
Lire la suite du texte de Véronique Kanor
E man di kò mwen kon ‘a
si l’Histoire était un outil elle serait ce point
\a. mɛʁ\
si l’Histoire était un goût elle serait
\a. mɛʁ\
si l’Histoire était un lieu elle serait la mer
celle qui porte nos gènes
celle qui tient le conte de nos mémoires
ployée par onze millions de corps noirs
celle qui est encore bravée par des corps migrants
cette mer témoin de l’intranquilité des hommes.
L’histoire est \a. mɛʁ\
un phare âpre debout dans l’océan
l’histoire est \a. mɛʁ\
L’autre jour j’ai longé le port j’ai longé la rade
j’ai vu la sculpture du mémorial de l’esclavage
un visage à double face
en fer vivant de rouille et d’embruns
un visage immense dressé devant-terre devant-mer
les yeux par moments grands ouverts
étonnés sur le miracle d’être toujours vivant
à d’autres moments, crevés par les nuages qui les traversent
quand il pleut l’eau suinte sur les cloques de rouille
et me rappelle la brûlure des piments dans les sillons de chair
la brûlure des piments laissée par le fouet sur les peaux punies esclaves
quand il fait soleil dans les yeux grands ouverts du visage sculpté
les rayons colorent sa peau de rêves, d’espoirs et de fraternité.
le visage-vieillard me dit
Ma fille, pour aller de l’avant avec un ballot de joie, connais le passé, reconnais ses traces
pour qu’il ne vienne plus te hanter. Timafi, pou pa rikomansé laBles
pou pa maché kolokodo asou chimen la vi, pa ‘blié sa ki fèt, sa ki malfèt.
Connais le passé, reconnais ses traces. Accueille-le chez toi, fais-lui une place
pour qu’il ne tambourine pas, si fort à ta porte qu’il écrase ta case.
Ce visage-vieillard c’est lui l’Histoire qui va !
Il s’appelle Mémoire.
L’autre jour j’ai longé le port j’ai longé la rade
j’ai vu une une petite fille en doudoune
ôter ses chaussures et son collant
relever sa jupe et entrer dans une eau froide et vermoulue
debout là immobile
l’eau froide enserrant ses jambes toutes fines
elle fixait l’horizon
i té ka gadé koté Miklon
C’est elle aussi l’Histoire qui vient
c’est elle l’amer
qui guidera les hommes et les femmes et les peuples à la dérive
vers les rives où poussent des sentiments clairs épurés de violence.
Elle est là mègzo
la fillette debout et immobile
je revois ses jambes rougies par le froid
sa posture droite et certaine d’être au bon moment au bon endroit
entre les algues et la saleté de la mer
comme si sa présence nettoyait les âmes amères
les âmes errantes de leurs peines
lavait les fonds pollués par la cruauté humaine.
je la regarde faire phare
la fillette mégzo aux jambes frêles
missionnée par la beauté
pour remplir d’horizons neufs
nos coeurs affaiblis
nos coeurs découragés
nos coeurs pillés par les marchands de peur
je la regarde faire force
le vieillard de fer fait phare fait force aussi
2 amers à mille ans de distance sur une même rade
commandent le monde de faire face
de faire monde.
L’Histoire est \a. mɛʁ\
âpre offensante et sarcastique
l’Histoire est \a. mɛʁ\
Nous avons beaucoup de combines pour pêcher.
Avec nos mains puissantes nous fabriquons
filets, harnais, hameçons, lignes, chalutiers.
Puissent nos mains puissantes attraper les haines et les peurs
qui polluent les eaux politiques
qui inondent les ondes de menaces sans fonds.
N’entendez-vous pas revenir les mots qui divisent ?
N’entendez-vous pas ricaner les murs qui se redressent ?
N’entendez-vous pas fleurir les fruits de l’amertume ?
La fillette mègzo dans l’eau de la rade
et qui pêche l’horizon de ses yeux me dit
Ne les laisse pas me submerger
ne me laisse pas tomber
pa ladjé mwen !
Que nos mains puissantes se dressent horizontales
pour serrer tendrement la main de l’aube
pour serrer fermement la main de l’autre
pour saluer la venue d’un monde où nous ne serons plus
filles ou fils uniques
mais soeurs et frères
différentes et mêmes
plusieurs et un seul.
Fêt tala yo ka kriyé Fête de la Fraternité sé on kay
kay tala sé ta zòt
kay tala sé tan nou
sa ki pa lé viv on kay tala yo pa kay ni le choix
padawa sé tala sèlman nou tout pou rété
sé tala sèlman ki ni asi la tè pou la vi rouvini kolibri
filao
wòt tay
et marée haute !
Celles et ceux qui ne veulent pas vivre dans ce phare n’auront pas le choix
c’est la seule maison qui brille mais ils regardent ailleurs
c’est la seule case sur terre qui peut rendre la vie colibrie
coquelicot
éternelle
belle !
L’Histoire n’a pas d’autre choix que d’habiter
dans la case de la Fraternité
dans la Fête de la Fraternité.
Je vous souhaite de vivre cette Fête aujourd’hui et tous les jours
dans la joie dans la paix dans le sacre du vivant
dans le respect de chaque vivant
qu’il soit d’ici ou de là-bas
qu’il soit comme ceci ou comme cela
humain ou végétal, animal ou minéral.
c’est la fin des filles et des fils uniques !
Soyons frères soyons soeurs !
Faisons famille avec tout ce que la terre porte de Vivant
pour déhanter l’amer et habiter le bel amer de la Fraternité.
Misié zé danm i bout
man ka mandé le pasaj.
Accordé ?
Véronique Kanor
à Brest, le 20 mai 2024